Tuer le « Oui et » ?

J’ai toujours plutôt apprécié le principe du « Oui et … ». La notion de se servir d’une idée ou d’une proposition comme d’un tremplin m’a toujours séduite et je l’ai enseignée de nombreuses années. Je l’ai toujours estimé nécessaire, car il permet de passer d’une pensée en jugement à une pensée en mouvement.

Aujourd’hui, je commence à me poser des questions, et en échangeant, il apparaît que je ne sois pas seule à me les poser.

Le « Oui et  » m’asservit

Comme tout principe, il atteint ses limites. On a tendance à trop l’enseigner au premier degré et on arrive à des travers de fonctionnement qui exposent improvisateurs et improvisatrices à des pratiques déviantes.

Nombreux sommes-nous à nous être sentis coincés dans une scène, dans une position humiliante, à seconder une proposition dégradante, avec ce « OUI et… » qui nous enlevait notre liberté d’action.

Le baiser – Gustave Klimt

Parce que cette règle est la n°1, la reine des règles, malheur à toi si tu l’enfreins ! Et quand bien même on te fait une proposition qui te met mal à l’aise, dis oui, surtout DIS OUI !
J’ai toujours noté, qu’en France, face à la règle on a deux comportements : absolue soumission ou complète rébellion. Le non est associé à un refus de jeu. Bienvenue dans la dictature de OUI !

Après avoir remué mes méninges, j’en suis passée par un second stade. Avant d’enseigner l’exercice du « Oui et », j’expliquais à mes élèves que l’utilité était de remettre le « Oui » et le « Non » à égalité. Or, improviser c’est se jeter dans l’inconnu, ceci génère des peurs qui induisent des « Non » de résistance alors qu’en réalité le risque est fictif.
Je les poussais au « Oui » pour qu’ils se rendent compte que la scène se construit et que le danger est virtuel.

Mais mes questionnements demeurent ! Je reste insatisfaite !

Le Oui négatif me libère

Aujourd’hui, j’ai découvert un concept merveilleux qui répond à mes dernières interrogations : le « Oui négatif » (Negative Yes). Ce concept est décrit dans le formidable livre de Bill Arnett (Chicago Improv studio), « The complete improviser ».
Bill Arnett avoue ne plus enseigner le « Oui et … ». Nous faisons du théâtre, le Non doit se jouer autant que le Oui. Le principe du Oui négatif est le suivant.

Lorsqu’on me fait une proposition, la seule chose sur laquelle je dois m’accorder, ce sont les circonstances. A savoir si je seconde par un AVEC (« Je suis cool avec ça ») ou un CONTRE (« Je ne suis pas cool avec ça »), relève de mon libre choix.

Exemple :
– « Chérie, j’ai invité Mon patron et sa femme à manger ce soir ! »
Ici, je m’accorde sur les circonstances : Nous sommes un couple et habitons ensemble.
Ensuite j’ai le choix

Je suis cool avec ça et donc :
– « Quelle bonne idée mon Amour ! j’étais justement entrain de faire un bœuf bourguignon »
Je ne suis pas cool avec ça et donc :
– « Mon chéri, mais je t’ai dit que ma mère venait manger ce soir » … et avouez que la perspective d’un repas mélangeant belle mère et patron s’avère savoureuse.

Pour en instaurer la pratique, reprenons l’exercice classique du Goaler, où deux joueurs sont face à face, le premier entame un début de scène avec une proposition forte, et l’autre doit s’adapter spontanément.
Au lieu d’imposer à chaque fois aux participants de dire oui, je refais jouer plusieurs fois la proposition en pratiquant un coup sur deux le « Je suis cool avec ça » et « Je ne suis pas cool avec ça », la seule chose est de savoir s’accorder sur les circonstances.
Et il s’avère que du moment qu’on s’accorde sur les circonstances, ça fonctionne !

Ainsi à la proposition,
« Ah j’ai furieusement envie de toi, déshabille toi là, maintenant, et allonge toi! »
Vous serez d’accord sur les circonstances: le personnage de votre partenaire est une caricature du pervers libidineux. Et à cela, vous aurez la liberté de répondre

NON!

Garder le « Oui et », mais pas sur scène

Ai je aujourd’hui abandonné le « Oui et » ? A vrai dire Non.

Dans un processus d’idéation dans le cadre d’une démarche d’innovation, je l’utilise. Mais sur scène, je ne l’utilise plus !

Le cri du chameau à l’improvidence Bordeaux les 5 et 6 avril 2019. Infos résas ici

2 Comments

  • Faismoimal_Johnny

    30 mars 2019

    Super intéressant comme article ! Pourrais-tu juste développer ton exemple de l’application du « oui négatif », stp, peut être donner plus d’exeple de ce que serait un « oui » total, un « non » total et un ou plusieurs « oui » négatifs qui fonctionnent quand même ?

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    • HL

      31 mars 2019

      Alors, le concept n’est pas de moi mais de Bill Arnett. Cependant je tente les exemples.
      Reprenons « Chéri, j’ai invité mon patron et son épouse à manger ce soir »
      Oui total: « Super Chéri, j’ai d’ailleurs cuisiné un formidable boeuf bourguignon »
      Oui négatif: « Mais chéri, tu sais bien que j’ai invité ma mère à manger ce soir ? »
      Non total: « Qu’est ce que vous faites chez moi, je ne vous connais pas! »

      Merci beaucoup pour ton commentaire et ton retour

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